26/03/2011
En bleu adorable... (1800-1806)
En bleu adorable fleurit
Le toit de métal du clocher. Alentour
Plane un cri d'hirondelles, autour
S'étend le bleu le plus touchant. Le soleil
Au-dessus va très haut et colore la tôle,
Mais silencieuse, là-haut, dans le vent,
Crie la girouette. Quand quelqu'un
Descend, au-dessous de la cloche, les marches, alors
Le silence est vie; car,
Lorsque le corps à tel point se détache,
Une figure sitôt ressort, de l'homme.
Les fenêtres d'où tintent les cloches sont
Comme des portes, par vertu de leur beauté. Oui,
Les portes encore étant de nature, elles
Sont à l'image des arbres de la forêt. Mais la pureté
Est, elle, beauté aussi.
Du départ, au-dedans, naît un Esprit sévère.
Si simples sont les images, si saintes,
Que parfois on a peur, en vérité,
Elles, ici, de les décrire. Mais les Célestes,
Qui sont toujours bons, du tout, comme riches,
Ont telle retenue, et la joie. L'homme
En cela peut les imiter.
Un homme, quand la vie n'est que fatigue, un homme
Peut-il regarder en haut et dire : tel
Aussi voudrais-je être ? Oui. Tant que dans son cœur
Dure la bienveillance, toujours pure,
L'homme peut avec le divin se mesurer
Non sans bonheur. Dieu est-il inconnu ?
Est-il, comme le ciel, évident ? Je le croirais
Plutôt. Telle est la mesure de l'homme.
Riche en mérites, mais poétiquement toujours,
Sur terre habite l'homme. Mais l'ombre
De la nuit avec les étoiles n'est pas plus pure,
Si j'ose le dire, que
L'homme, qu'il faut appeler une image de Dieu.
Est-il sur la terre une mesure ? Il n'en est
Aucune. Jamais monde
Du Créateur n'a suspendu le cours du tonnerre.
Elle-même, une fleur est belle, parce qu'elle
Fleurit sous le soleil. Souvent, l'œil
Trouve en cette vie des créatures
Qu'il serait plus beau de nommer, encore,
Que les fleurs. Oh ! comme je le sais ! Car
A saigner de son corps, et au cœur même, de n'être plus
Entier, Dieu a-t-il plaisir ?
Mais l'âme doit
Demeurer, je le crois, pure, sinon, de la Toute-Puissance avec ses ailes approche
L'aigle, avec la louange de son chant
Et la voix de tant d'oiseaux. C'est
L'essence, c'est le corps de l'être.
Joli ruisseau, oui, tu as l'air touchant
Cependant que tu roules, clair comme
L'œil de la Divinité, par la Voie Lactée.
Comme je te connais ! des larmes, pourtant,
Sourdent de l'œil. Une voix allègre, je la vois dans les corps mêmes
De la création alentour de moi fleurir, car
Je la compare sans erreur à ces colombes seules
Parmi les tombes. Le rire,
On le dirait, m'afflige pourtant, des hommes,
Car j'ai un cœur.
Voudrais-je être une comète ? Je le crois. Parce qu'elles ont
La rapidité de l'oiseau; elles fleurissent de feu,
Et sont dans leur pureté pareilles à l'enfant. Souhaiter un bien plus grand,
Le nature de l'homme ne peut en présumer.
L'allégresse de telle retenue mérite elle aussi d'être louée
Par l'Esprit sévère, qui, entre
Les trois colonnes souffle, du jardin.
La belle fille doit couronner son front
De fleurs de myrthe, parce qu'elle est simple
Par essence, et de sentiments
Mais les myrthes sont en Grèce.
Que quelqu'un voie alors dans le miroir, un homme,
Voie son image alors, comme peinte, elle ressemble
A cet homme. L'image de l'homme a des yeux, mais
La lune, elle, de la lumière. Le roi Œdipe a un
Œil en trop, peut-être. Ces douleurs, et
D'un homme tel, ont l'air indescriptibles,
Inexprimables, indicibles. Quand le drame
Produit même douleur, du coup la voilà. Mais
De moi, maintenant, qu'advient-il, que je songe à toi ?
Comme des ruisseaux m'emporte la fin de quelque chose, là,
Et qui ne se déploie telle l'Asie. Cette douleur,
Naturellement, Œdipe la connaît. Pour cela, oui, naturellement.
Hercule a-t-il aussi souffert, lui ?
Certes. Les Dioscures dans leur amitié n'ont-il-pas,
Eux, supporté aussi une douleur ? Oui,
Lutter, comme Hercule, avec Dieu, c'est là une douleur. Mais
Être de ce qui ne meurt pas, et que la vie jalouse,
Est aussi une douleur.
Douleur aussi, cependant, lorsque l'été
Un homme est couvert de rousseurs -
Être couvert des pieds à la tête de maintes taches ! Tel
Est le travail du beau soleil; car
Il appelle toute chose à sa fin. Jeunes, il éclaire la route aux vivants,
Du charme de ses rayons, comme avec des roses.
Telles douleurs, elles paraissent, qu'Œdipe a supportées,
D'un homme, le pauvre, qui se plaint de quelque chose.
Fils de Laius, pauvre étranger en Grèce !
Vivre est une mort, et la mort aussi est une vie.
Hölderlin, En bleu adorable. Traduction d'André du Bouchet.
« Ce poème est extrait du roman de Wilhelm Waiblinger, Phaéton, où il est attribué à un poète fou dont Hölderlin est le modèle. Waiblinger note : « Voici quelques feuillets de sa main qui donnent une idée de l'effroyable égarement de son esprit. Dans l'original, ils sont rédigés en vers, à la façon de Pindare ». Ils sont traduits ici dans la disposition que leur a donnée Ludwig von Pigenot, continuateur de l'édition Hellingrath.
Friedrich Beissner leur rend leur disposition en prose et refuse de les considérer comme un poème authentique de Hölderlin. André du Bouchet, qui l'a traduit, ici, écrit : « La beauté insurpassable de ce poème, ainsi que sa cohérence, rendent de pareilles conjectures vaines », et Heidegger l'appelle un « grand poème, inouï », dont il tire certains éléments de son essai : Hölderlin et l'essence de la poésie. »
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Carrément impressionant et inspirant. Faudra que je voie si je peux retrouver quelques trucs lus ces dernières années.
RépondreSupprimerFort impressionnant . . . on le trouve dans quelle de ses oeuvres?
RépondreSupprimerD'autres suivront. Je tiens Hölderlin pour le plus grand poète et, probablement, le plus grand penseur de son temps, ce qui se dit dans ses œuvres (poésies comme essais) est proprement inouï (au sens de "jamais ouï") dans toute la poésie occidentale. On sait de qui Nietzsche s'est inspiré pour sa Naissance de la Tragédie.
RépondreSupprimer@ Anonyme : ce poème et cette traduction sont tirés de l'édition Pléiades dirigée par Jaccotett, extrêmement bien faite, avec des annotations précieuses et des documents de la première importance pour comprendre pourquoi Hölderlin parle tant des dieux et du destin des hommes...
Grand merci, je connaissais la version allemande, mais cette traduction est vraiment un trésor! RS
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