L'anthologie Diaspora Sefardi poursuit le projet humaniste d'Hespèrion XXI : sauvegarder ; quelque naïf et beau que soit l'idéal de sauver une musique essentiellement orale et improvisée en la "fixant" sur CD et en "figeant" cette mémoire culturelle ; musique et mémoire qui étaient, rappelons-le, choses originellement mouvantes, actualisées au jour le jour, sans cesse réinterprétée pour l'une et contextualisées pour l'autre dans le quotidien d'un peuple ; de sauvegarder, dis-je, un héritage musical menacé et, peut être, déjà moribond.
Cette anthologie déploie ainsi un large éventail des chansons et romances des séfarades d'Orient, de ces juifs espagnols qui, expulsés en 1492 par décret royal des couronnes de Castille et d'Aragon, émigrèrent vers l'Afrique du Nord, l'Empire Ottoman, le sud de la France ainsi que l'Orient Méditerranéen, en général. Au fil de ces pérégrinations et de ces changements de cadres, se développèrent une langue, une littérature et une musique séfarades, une culture à part entière, laquelle, si elle s'enrichissait effectivement d'une somme d'apports culturels non négligeable (culture arabe/nord-africaine, grecque, turque, bulgare, roumaine, serbo-croate, bosniaque etc) n'en préservait pas moins ses traits fondamentaux, spécifiques : l'identité juive et la conscience de ses origines hispaniques. Un véritable syncrétisme donc, que l'adaptation des thèmes manifeste clairement : la magnifique chanson d'"El Rey de Francia" se trouve être, ainsi, l'adaptation d'une ballade grecque ; lorsque la bouleversante "Porque llorax blanca niña", de plus de 15 minutes, se révèle être une fusion du thème paneuropéen du "Mariage contrarié" hispanique avec la ballade grecque de "la Mauvaise mère". (dixit le livret, très bien documenté et rédigé également en Catalan !)
J'aimerai croire que cette musique - parmi les plus belles et plus pures qui soient, tandis ce qu'elle éclot et enivre de sa plasticité épurée des scories du temps -, par le fait même d'être mise en CD et en circulation, ne témoignerait pas, quelque part, de sa mort. Le sort de la musique traditionnelle comme de la culture orale est sombre, et son appropriation par le numérique est peut être (sans doute) illégitime en ce qu'une telle assimilation l'exproprie de l'espace et du temps dans lesquels elle faisait sens. Un tel post nourrirait donc une illégitimité au second degrés, une illégitimité avec exposant. Une illégitimité malheureuse, tant il est vrai que cette musique fait partie, comme je l'ai dit plus haut, des plus belles et émouvantes que j'ai jamais entendues.
"[...] Beaucoup de ces chansons ont servi comme simple chant de distraction, pour accompagner les moments d'oisiveté ; mais d'autres eurent des fonctions plus spécifiques pour accompagner des moments de cycle liturgique ou vital [...]. Avoir aujourd'hui le plaisir d'entendre ces chants judéo-espagnoles -alors que le monde traditionnel séfarade ne vit plus que dans quelques précaires survivances- n'est pas seulement une invitation à jouir de leur musique et des histoires que nous racontent leurs textes, mais aussi une invitation à réfléchir sur le fait que des exilés ont su durant des siècles maintenir une tradition propre (juive et hispanique), qu'ils ont enrichie grâce au contact et la vie commune auprès de multiples cultures bien différentes".
Cette anthologie déploie ainsi un large éventail des chansons et romances des séfarades d'Orient, de ces juifs espagnols qui, expulsés en 1492 par décret royal des couronnes de Castille et d'Aragon, émigrèrent vers l'Afrique du Nord, l'Empire Ottoman, le sud de la France ainsi que l'Orient Méditerranéen, en général. Au fil de ces pérégrinations et de ces changements de cadres, se développèrent une langue, une littérature et une musique séfarades, une culture à part entière, laquelle, si elle s'enrichissait effectivement d'une somme d'apports culturels non négligeable (culture arabe/nord-africaine, grecque, turque, bulgare, roumaine, serbo-croate, bosniaque etc) n'en préservait pas moins ses traits fondamentaux, spécifiques : l'identité juive et la conscience de ses origines hispaniques. Un véritable syncrétisme donc, que l'adaptation des thèmes manifeste clairement : la magnifique chanson d'"El Rey de Francia" se trouve être, ainsi, l'adaptation d'une ballade grecque ; lorsque la bouleversante "Porque llorax blanca niña", de plus de 15 minutes, se révèle être une fusion du thème paneuropéen du "Mariage contrarié" hispanique avec la ballade grecque de "la Mauvaise mère". (dixit le livret, très bien documenté et rédigé également en Catalan !)
J'aimerai croire que cette musique - parmi les plus belles et plus pures qui soient, tandis ce qu'elle éclot et enivre de sa plasticité épurée des scories du temps -, par le fait même d'être mise en CD et en circulation, ne témoignerait pas, quelque part, de sa mort. Le sort de la musique traditionnelle comme de la culture orale est sombre, et son appropriation par le numérique est peut être (sans doute) illégitime en ce qu'une telle assimilation l'exproprie de l'espace et du temps dans lesquels elle faisait sens. Un tel post nourrirait donc une illégitimité au second degrés, une illégitimité avec exposant. Une illégitimité malheureuse, tant il est vrai que cette musique fait partie, comme je l'ai dit plus haut, des plus belles et émouvantes que j'ai jamais entendues.
"[...] Beaucoup de ces chansons ont servi comme simple chant de distraction, pour accompagner les moments d'oisiveté ; mais d'autres eurent des fonctions plus spécifiques pour accompagner des moments de cycle liturgique ou vital [...]. Avoir aujourd'hui le plaisir d'entendre ces chants judéo-espagnoles -alors que le monde traditionnel séfarade ne vit plus que dans quelques précaires survivances- n'est pas seulement une invitation à jouir de leur musique et des histoires que nous racontent leurs textes, mais aussi une invitation à réfléchir sur le fait que des exilés ont su durant des siècles maintenir une tradition propre (juive et hispanique), qu'ils ont enrichie grâce au contact et la vie commune auprès de multiples cultures bien différentes".
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