C'est drôle, mais il y a une idée que j'ai toujours trouvé fabuleuse, et que j'ai sans cesse (et assez inexplicablement) refoulée, concernant l'acte de création humain par le biais de l'art. Le musicien (et l'artiste en général), par le triomphe sans cesse renouvelé sur la crudité des sons et des couleurs gisant en lui comme des virtualités, s'identifierait, par correspondance, au processus divin de création. De quoi Dieu aurait-il fait le monde, en effet, sinon des réalités qu'il trouvait en lui-même, et comment se représenter l'apparition réelle du mal, d'une opposition absolue contre Dieu, si cette opposition n'a pas préalablement existé en Dieu-même à l'état de simple potentialité, comprimée sans cesse et vaincue par la volonté divine ?
Et si l'Homme, par l'acte de création artistique - acte indissociable de la création de nouvelles valeurs, témoignerait d'une configuration irréductiblement divine ? Le théoandrisme en art : profonde vérité, ou paire de claques qui se perdent ? Or, s'il s'agit bien d'un Dieu artiste, créant et détruisant, n'existant que dans et par une création sans cesse renouvelée, indifférente, quelle commune mesure partagerait il avec le Dieu chrétien, moral et punisseur, prononçant toute Loi comme antérieure à, et déterminant la possibilité même de toute transgression ?
Plus que jamais, c'est cette cogitation qui me tourmente lorsque j'en viens à écouter certaines musiques dont l'inspiration et l'hermétisme font osciller mon appréciation entre adhésion absolue et scepticisme aigüe ; "The Incarnation of Solar Architects", et Inade dans l'ensemble de sa démarche artistique, ne laisse pas de me faire pencher d'un bout à l'autre de la balance, me laissant dans l'irrésolution la plus insupportable. Superficialité, ou vision géniale dans une telle interpénétration de couches sonore, astrales et abyssales ? Morceau de savoir absolu coincé au cœur de ce magma tellurique et pluri-dimensionnel (plus mélodique et tonal que sur les derniers efforts, "Aion Teleos"), ou délire induit de l'auditeur dans un vaste foutoir ne voulant rien dire, oblitérant la minutie de pièces telles que "Canon Proportion", ou du souffle mystique irrésistible (et quelque peu surfait, les cloches, on connaît ?) du morceau "The Lefthanded Sign" ? Ou un peu des deux ? Et si Inade laissait jouer, malgré l'extrême travail sur les sonorités et leurs agencements, malgré la véritable intelligence évolutive d'un morceau aux milles mosaïques internes, le facteur de l'aléatoire, de la conjonction occasionnelle entre l'idée que se forme l'auditeur de la musique écoutée, et du cheminement de l'Idée esthétique par les artistes eux-mêmes ? A moins qu'il ne faille, tel le mystique, réduire à néant sa raison et son entendement, demeurer en une station toute simple de l'esprit, d'attendre l'harmonique et son onde, pour d'embrasser le Tout sans tentative de formulation ? En ce cas, pourquoi parler musique ? Le faire apparaitrait comme contre-nature, et l'acte même du langage - comme la simple expérience de ne pas être mort.
De fait, et malgré mes hésitations, je reconnais en Inade une singularité réelle, une démarche qui, si elle s'inspire de celle de Lustmord période The Place Where The Black Stars Hang, demeure à la fois bien plus foisonnante (TPWTBSH serait au D.A ce que les hollandais sont à la peinture) et vivante, organique ; non exempt, cependant, de certains systématismes un peu trop "faciles" (la dimension tribale et chamanique, par exemple, autant écouter Halo Manash et apprendre le mot "invocation" dans son plein accomplissement).
FLAC /
BuyEDIT : suite à un oubli misérable, le lien vers le site officiel a été diligemment rajouté. Merci au courageux "Anonyme" de me l'avoir si aimablement signalé.